Toutes nos saynètes ont été écrites par le président de l'association Yves BLOUIN.
Yves Blouin © 2016
Les lavandières (année 1841 environ)
Toinette, jeune; Mathilde, plus âgée
Toinette : Pff…. ah comme c'est difficile de laver son linge ici !
Mathilde : Ben ma Toinette, çà se voit que tu es jeune, toi. Avant il fallait laver à la rivière, on n'avait pas le choix !
Toinette : j'me rends pas compte.
Dis, tu sais ce qui s'est passé, au lavoir du Vivier, celui qui est sur le chemin vers Gency, après le château ?
Mathilde : Pour sûr qu’je sais. M'sieur le maire, M'sieur Michaux, a décidé de faire payer 10 centimes m2 aux dames de Cergy qui viennent y laver leur linge.
Toinette : Même les dames de Vauréal devront payer, c'est un peu fort, quand même ! On devrait faire payer que celles de Cergy !
Mais nous on n'est pas concernées, on lave ici aux Dames Gilles, même que l'eau est meilleure pour laver !
Mathilde : 10 centimes par m2 ? Mais ça va coûter cher à la mère Cartry, elle occupe bien ses 2 m2, elle ! (faisant le signe qu’elle est grosse)
Toinette : (Rires, puis se reprenant) Mathilde, c'est pas bien de parler comme ça, c’est pas très chrétien.
(moment de silence, les lavandières lavent)
Mathilde (goguenarde) : Dis, Toinette, je t’ai pas vu l’autre jour, avec un gars, au bord de l’Oise …. ?
Toinette : J’étais avec mon Joseph, c’est mon bon ami. On s’est vu au feu de la Saint Jean, et puis un dimanche, au sortir de la messe, il est venu vers moi et il m’a dit : « Z’êtes bien mignonne, mam’zelle Toinette ».
Mathilde : Fais attention, ma petite, fais attention, ce gars-là n’est pas d’ici.
Toinette : Mais il est de Conflans !
Mathilde : C’est bien ce que je dis, c’est un étranger. Et puis qu’est-ce qu’il va choisir comme métier, d’abord, laboureur ou vigneron ?
Toinette : Ni l’un ni l’autre … il veut être tonnelier.
Mathilde : Ah bon, tonnelier, c’est bien çà, un bon métier, et on en aura toujours besoin ici.
Toinette : Mais moi çà m’est bien égal le métier qu’il fait, je l’aime. Et puis il a dit qu’il m’emmènerait souvent à Paris.
Mathilde : A Paris ? Mais ma pauvre, c'est plein de gens pas comme il faut là-bas. Et puis c'est un long voyage : avec un bon carrosse il faut bien 5 heures de route depuis Pontoise.
Toinette (moqueuse) : mais enfin, çà c’était il y a longtemps, avant la Révolution ! Maintenant c’est beaucoup plus rapide : avec une voiture à 4 chevaux, on ne met plus que 4 heures de route !!
Tu as connu la Révolution, toi, Mathilde ?
Mathilde : Pour sûr que j’ai connu ! J’étais gamine quand ils ont coupé la tête du roi. On habitait au manoir des Clobilles, chez les Bouvet, car Maman travaillait pour eux.
On cachait même un curé qui ne voulait pas signer pour leur Révolution, là, il s’est caché là pendant toute la Révolution, un miracle qu’ils ne lui ont pas coupé la tête à lui aussi !
Toinette : allez, Mathilde, faut oublier, tout çà c'est du passé.
Mathilde : Tu as raison. Tiens si tu veux demain on ira au marché à Pontoise, et je t'achèterai un beau fichu en dentelle, comme çà tu plairas à ton Joseph, même qu’il te demandera bientôt en mariage.
Toinette : A propos de mariage, comment ça va ton mari ....je veux dire … pour le vin ?
Mathilde : Oh la vendange a été bonne, on ne se plaint pas
Toinette : Non, je veux dire ... tu sais bien ... lui et la chopine
Mathilde : Ah ça Toinette ! Je suis très fâchée, car ce matin, à Pontoise le marchand nous a refusé un tonneau. Du bon Ginglet, que c’était pourtant. Le vin avait été coupé !
Toinette : Non !
Mathilde : Si ! Mon homme avait bu en cachette, et avait complété le tonneau avec de l'eau, le bougre, le menteux ! (brandissant son battoir). Depuis il se cache, mais si je le vois, je l'assomme !!
(Le mari arrive, ivre, une bouteille à la main; elle le poursuit, brandissant son battoir, faisant deux tours du bassin et criant sur lui.
Toinette s’aperçoit que Mathilde a oublié une culotte et lui court après en criant : ….
Toinette : Mathilde, Mathilde ! Tu as oublié ta culotte !
(les 3 personnages font encore un tour de bassin et sortent de la scène).
Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est bétonnée par les Romains…
Toute ? Non !
Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur.
Bétonnia : Ave, gaulois !
Arbrix : Bétonnia ! Qu’est-ce qu’une noble romaine comme toi vient faire dans notre humble village gaulois ?
(elle a en mains un plan, roulé)
Bétonnia Arbrix, j’ai une bonne nouvelle… Nous allons vous offrir une belle urbanisation à la romaine, comme à Lutèce.
Arbrix : Ah oui, çà nous manquait beaucoup, çà, une « urbanisation à la romaine » ! Mais où ?
Bétonnia :Ici
Arbrix: Ici ?
Bétonnia : Là
Arbrix : Mais là, il y a un bois
Bétonnia (elle regarde bien). Mais non, là il n’y a que des friches
Arbrix: Arrêtez. Vous êtes sur la terre du peuple Véliocasse, et ici c’est notre bois sacré, on n’y touche pas. Et puis que voudrais-tu construire ici ?
Bétonnia : Regarde, voici le plan du promoteur, Pleindefrix.
Arbrix: Waw, bravo, très fort, vous les romains, vous savez dessiner des carrés et des cubes. Mais non merci, nos maisons en bois nous vont bien, elles s’intègrent dans l’environnement, et sont isolées selon les dernières normes thermiques. Autre chose ?
Bétonnia : On fera un nouveau forum, pour 10 millions de sesterces seulement, grâce à VOS impôts locaux. Et un stade, et un théâtre où vous pourrez assister à des spectacles grandioses.
Arbrix: De beaux spectacles ? Ah oui, regarder massacrer des tas de gens, dans les arènes, c’est un beau spectacle, çà !
Bétonnia : Et vous alors, avec vos sacrifices humains, c’est mieux, peut-être ?
Arbrix: Calomnie ! C’est votre Jules César qui a colporté cette rumeur pour nous faire passer pour des barbares. Nous, on ne tue que les romains, au combat, et d’ailleurs n’avons-nous pas envoyé nos valeureux guerriers en renfort à Vercingétorix lorsque vous avez mis le siège sur Alésia ?
Bétonnia : Mais mon pauvre Arbrix, vous avez perdu la bataille, malgré votre supériorité numérique ; eh, oh, réveillez-vous, la guerre des Gaules est perdue ; et vous savez ce qu’on dit chez nous ? Vae victis.
Arbrix: Le latin, j’y comprends rien, pour moi c’est du chinois. Traduction, svp ?
Bétonnia : Malheur aux vaincus.
Arbrix : Vous avez gagné, soit. Alors prenez notre blé, mais, par Toutatis, laissez-nous nos traditions et nos dieux.
Bétonnia : Vous prierez les dieux romains et nous construirons des temples à Apollon ou Mercure…
Arbrix: Mais, Bétonnia, nous n’en voulons pas, de vos dieux et de vos temples : laissez-nous le grand sanctuaire du Mont Bélien, où nous allons honorer Belenos, dieu de la lumière.
Bétonnia : … ?
Arbrix : Vous savez bien, le mont Bélien, la colline de la ville de Brivisara, là où est le pont sur l’Oise.
Bétonnia : Brivisara …. Ah oui. Alors vous voulez dire Pont Isara, dites Pontoise, dites-le à la romaine. Charmante petite ville, bien desservie par la Chaussée Jules César !!
Arbrix : Là-bas est le grand sanctuaire. Et ici, est notre bois sacré : et vous n’avez pas le droit d’y toucher.
Bétonnia : Vos bois sont infestés de druides qui ne pensent qu’à comploter contre Rome. Il faut les raser. Et il faut couvrir la Gaule de constructions, de brique, de chaux, de mortier (excitée) : du béton, du béton partout hahaha !!
Arbrix : Stop. Vous êtes calmée, c’est bon ? Votre problème, c’est que vous ne ferez rien sans nous, vous avez besoin de notre coopération. C’est vrai ou pas ?
Bétonnia : (hésitation) C’est vrai. Et d’ailleurs vous allez nous aider à planter de la vigne.
Arbrix: De la vigne, mais non, nous voulons continuer à boire la cervoise.
Bétonnia : Alors vous boirez de la cervoise … ET du vin…
Arbrix: Et vous, vous boirez du vin … ET de la cervoise.
Bétonnia :Et ainsi, nous serons, disons, « gallo-romains »
Arbrix: « gallo-romains », allez, disons « gallo-romains » (ils se serrent la main ; éventuellement, ils trinquent).
Contexte historique
Depuis 1830, c’est la monarchie de Juillet : Louis-Philippe est roi (monarchie constitutionnelle).
L’événement a lieu le dimanche 16 août 1840, lendemain de la fête de l’Assomption.
Le maire – a priori Michaux , qui assure encore l’intérim de son successeur Jean-Félix Rouget - reçoit du sous-préfet une lettre l’informant que le curé, l’abbé Denis, doit quitter la paroisse pour le 15 août, jour. Or c'est le jour où le curé officie pour la fête de l’Assomption.
Le maire interprète la lettre du sous-préfet comme un ordre à exécuter. Le dimanche 16 août, il revêt son écharpe et, accompagné d’une escouade de Gardes nationaux en uniformes, se rend au petit matin à l’église, dispose les Gardes Nationaux tout autour de l’église pour empêcher le public d’approcher, fait apposer sur la porte une plaque de fer-blanc couvrant exactement le trou de la serrure et fait coller sur la largeur de la porte une bande en papier qu’il scelle aux deux extrémités du cachet de la mairie.
Le curé marche immédiatement jusqu’à Pontoise, où il informe le Procureur du Roi, qui se rend lui-même sur les lieux, rencontre le maire et pendant une demi-heure cherche en vain à lui démontrer l’illégalité de ses actes. Le Procureur se souvient d’une lettre récente de l’Evêché autorisant le curé à célébrer les messes de l’Assomption et du dimanche suivant. Le maire dit ne pas connaître cette lettre et qu’en tout cas il n’en tiendrait compte que si elle était postérieure à celle du sous-Préfet ; c’était bien le cas. Le maire voulut chicaner sur la signature et remettre au lendemain la levée des scellés, mais après quelques paroles fermes du Procureur, il céda. Devant l’église, il fit aux personnes rassemblées une allocution dans laquelle il se plaignit vivement du silence du curé et voulut le rendre responsable du scandale. Il ordonna la Garde Nationale de relever la plaque.
Aussitôt le curé fit sonner vêpres et les fidèles, en guise de protestation, affluèrent nombreux à l’église.
Saynète
Le maire, lisant un courrier qu'il a reçu : « M. le Maire, j’ai l’honneur de vous informer que l’Evêché a procédé à la nomination d’un nouveau curé pour la paroisse. Le curé actuel, l’abbé Denis, doit quitter la paroisse le 15 août. Fait à Pontoise. Le Procureur du Roi ».
Le maire, parlant seul :
- Je saurai me montrer digne de la mission que me confie le Procureur.
Le 16 août au petit matin, écharpe tricolore, il arrive à l’église.
Le maire aux gardes :
- Gardes, placez-vous autour de l’église afin que l’ordre public soit maintenu. Et vous, placez ici la plaque de fer ; à présent, les scellés ; j’appose le sceau de la mairie. Voilà, mission accomplie.
Le curé, arrivant :
- Ils ont osé faire çà ! On va voir, je vais à Pontoise de ce pas.
Le maire part se plaindre au procureur à Pontoise.
Le procureur au maire :
- Monsieur le Maire, j’ai été informé de ce que vous avez apposé des scellés sur la porte de l’église. En vertu de quel mandat l’avez-vous fait ?
Le maire :
- Mais voici le courrier que m’a adressé le sous-préfet, voyez, le curé doit partir au 15 août.
Le procureur :
- Vous vous méprenez, c’est une information, non un ordre.
Le maire :
- C’est une mission, et je l’ai exécutée
Le procureur :
- C’est moi, procureur, qui détiens l’autorité, en l’absence du sous-préfet et je vous ordonne de lever les scellés. Mais, cela me revient en mémoire, M le curé a reçu un courrier par lequel l’Evêché l’autorise à célébrer la messe de l’Assomption et encore celle du dimanche suivant.
Le maire :
-Je n’en tiendrai compte que si sa date est postérieure à celle du sous-préfet.
Le Procureur :
- Voici la lettre
Le maire :
- Soit, mais qui me dit que la signature est bien celle de l’Evêque, que ce n’est pas un faux ?
Le procureur :
- Monsieur le Maire, je vous ordonne pour la dernière fois de lever les scellés, sans quoi je devrais faire appel à la force publique, au nom du Roi !
Le maire :
- Soit, j’ordonne donc que les scellés soit levés. Mais je tiens à vous dire, mes chers administrés, que cette affaire n’aurait pas eu lieu si votre curé m’avait informé du courrier de l’Evêque. Il est donc le seul responsable de cet incident.
Contexte historique :
Le prêtre réfractaire :
Le manoir des Clobilles était possédé par une famille de grands navigateurs bretons de la marine Royale, les Bouvet de Lozier. Quand éclata la Révolution, elle cachait au manoir un prêtre réfractaire, l'Abbé Aubin de la Forest. Le manoir possédait une chapelle, dans laquelle l’abbé de la Forest célébrait non seulement toutes les cérémonies de la famille, mais encore celles de six ou sept villages avoisinants. Ainsi, en pleine tourmente révolutionnaire, le 2 octobre 1791, il y célébra le mariage d’Hélène de Lozier. Son frère Athanase interrompt sa brillante carrière d’officier pour entrer dans la chouannerie et s'exiler en Angleterre, où il rencontre de Georges Cadoudal. Plus tard, depuis les Clobilles, il aidera Cadoudal dans sa conspiration contre Napoléon. Cadoudal est arrêté et guillotiné en 1804 alors que Bouvet est sur l’intervention d’Hélène auprès de Caroline Murat, sœur de l’Empereur.
On ne sait pas si ce prêtre réfractaire connaissait le curé, l’abbé Bailly. On ne sait pas s’il a été arrêté, guillotiné durant la terreur, s’il est allé s’exiler en Angleterre.
Le prêtre révolutionnaire :
Jacques-Nicolas Bailly n’a que 26 ans quand il est nommé curé de Vauréal. Il venait de Chessy (dans le 77). Il a vite été adopté et a été estimé des paroissiens. C’est un sympathisant des idées révolutionnaires. En 1790, à l’assemblée locale de Pontoise, qui doit élire les représentants à l’Assemblée nationale, il représente la circonscription allant d’Ennery à Jouy. Il est élu président de cette assemblée primaire. En 1790, il est élu maire de Vauréal, par décision de l’assemblée municipale. Le premier maire de Vauréal est donc son curé. Il prête serment pour la constitution civile du clergé. C’est un prêtre « juré » ou « constitutionnel ». La Révolution se durcit et c’est la Terreur. Le 2 septembre 1792 : massacre des Carmes, à Paris, où sont égorgés 191 ecclésiastiques, dont l’abbé Aubert, curé de Notre-Dame de Pontoise. Le 16 novembre 1792, sont confisqués les biens de l’église de Vauréal, dont la cloche. Le 18 décembre 1793, il est arrêté. Il abdique puis est libéré le 27 février 1795. Il quitte Vauréal, en poche un certificat de civisme et se rend à Mantes, où on le retrouve instituteur en 1805, puis en Angleterre et revient à Vauréal en 1808 pour y être à nouveau curé. Par son testament, en 1814, il lègue le presbytère à la Paroisse, en contrepartie de 24 messes pour le repos de son âme.
Saynète
Dialogue entre les deux prêtres - fin 1791
L'abbé Aubin de la Forest :
- Je vous salue, mon Père - ou peut-être devrais-je dire "citoyen" ?
L'abbé Bailly :
- Bonjour mon Père, oubliez le citoyen
L'abbé Aubin de la Forest :
- Ainsi donc vous avez prêté serment à la Constitution, mais comment avez-vous pu ? Ne savez vous pas que Rome condamne cela ?
L'abbé Bailly :
- Vous éprouvez quelque anxiété, je le conçois, car vous craignez que les principes de la Révolution française soient incompatibles avec les préceptes du catholicisme. Mirabeau lui-même a déclaré que les fondements de l'Eglise de France se confondent avec ceux de notre pays, de notre nation.
L'abbé Aubin de la Forest :
- Moi je ne suis qu'un simple prêtre. Vous, vous êtes devenu un personnage public. Vous êtes prêtre, oui, mais quelle ascension : en 89 vous avez représenté à Pontoise notre secteur pour les Etats-Généraux, en 90 vous étiez maire de Vauréal et l'an dernier, en 91 vous avez représenté notre circonscription pour l'élection à l'Assemblée nationale ! Vous êtes devenu un fonctionnaire public.
L'abbé Bailly :
- Que nenni, je demeure ministre du culte, mais les temps on changé, on ne peut plus supporter le joug du servage sur ce pauvre peuple. Et mes privilèges ecclésiastiques, je les ai abandonnés bien volontiers.
L'abbé Aubin de la Forest :
- Mais quels privilèges ? j'ai fait voeu de pauvreté. Et allez-vous, comme ces prétendus philosophes, dire que notre foi n'est que du "fanatisme" ? Et le joug du servage n'est pas si pesant qu'on le dit. Moi j'officie à la chapelle des Clobilles, et les maîtres des lieux, les Bouvet de Lozier, sont de bonnes personnes.
Savez vous que les paysans accourent de la campagne alentour, de Courdimanche, de Cergy, de Menucourt, de Jouy pour faire célébrer leur mariage et leurs baptêmes aux Clobilles ? Mon ami, vous êtes sincère, et même bien enflammé, mais ne voyez-vous pas que cette aventure vous mènera vers la destruction de notre foi et que ces révolutionnaires que vous suivez ne veulent que notre destruction ? Vous êtes un agneau mais il y a dans vos amis des loups sanguinaires, pétris d'envie et de haine. Vous méritez mieux !
L'abbé Bailly :
- Je suis autant attaché aux lois de la religion qu'à celles de la patrie. Ce serait calomnier l'Assemblée Nationale que de lui prêter l'intention de nuire à la religion. L'Abbé Grégoire lui-même l'a dit à la tribune de l'Assemblée ! J'ai juré d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi !
L'abbé Aubin de la Forest :
- Notre roi est le ciment de l'unité de notre pays, vous le savez, et il est garant de la foi de son peuple.
L'abbé Bailly :
- Mais le roi a accepté la Constitution !
L'abbé Aubin de la Forest :
- Contraint et forcé !
L'abbé Bailly :
- Ne croyez pas cela, et arrêtez donc de vous cacher aux Clobilles, rejoignez nous, sortez et entrez dans le monde radieux où la Raison chasse l'arbitraire !
2e rencontre : avril 1795
L'abbé Aubin de la Forest :
- Alors, mon Père, on dirait que votre aventure révolutionnaire vous a mené à la prison, comme je vous plains !
L'abbé Bailly :
- Je vous remercie de votre sollicitude, mon ami, mais ne m'appelez plus "mon Père", vous savez que j'ai fini par abdiquer. Après plus d'un an de prison, j'ai signé mon abdication et voilà, je ne suis plus prêtre, mais au moins j'ai échappé à la guillotine et j'ai recouvré la liberté.
L'abbé Aubin de la Forest :
- Et vos grandes idées ont produit de grands malheurs. C'est lorsqu'ils ont coupé la tête à notre roi, en 92, que tout a dérapé. Et vous rappelez-vous de la journée du 2 septembre 92, au couvent des Carmes à Paris, où 191 ecclésiastiques ont été égorgés. 191 ! Egorgés ! Notre cher abbé Aubert, curé de Notre-Dame de Pontoise, était parmi eux.
L'abbé Bailly :
- Je reste inconsolable, mais vous savez bien, c'est la Terreur qui a pourri la Révolution, Danton, les Enragés, la loi des suspects, le Comité de salut public, tout s'est emballé !
L'abbé Aubin de la Forest :
-Une folie meurtrière !
L'abbé Bailly :
- Mais vous, comment êtes-vous resté en vie au milieu de cette tourmente ?
L'abbé Aubin de la Forest :
- Je n'ai pas cherché le martyre, mais je n'ai pas craint la mort. Le Seigneur ne m'a pas tout de suite appelé à Lui. Je crois qu'à Vauréal le peuple m'a soutenu, et j'ai baptisé plus d'un républicain ! Le maître de lieux, Athanase Bouvet de Lozier, s'est exilé en Angleterre mais sa soeur Hélène d'Antraygues, est restée, avec ses gens. C'est un miracle, mais je n'aie pas été arrêté. Je me suis caché dans les caves du manoir des Clobilles...
L'abbé Bailly :
- Il paraît qu'on y trouve du bon vin...
L'abbé Aubin de la Forest :
-Parlons d'autre chose... Et que va devenir notre église du village, ou plutôt devrais-je dire (ironique), votre "Temple de la Raison", maintenant qu'il n'y a plus de prêtre et que tous les objets, et même la cloche, ont été confisqués depuis 92 ? Va t elle servir de grange à foin comme l'église Notre-Dame de Pontoise ?
L'abbé Bailly :
- Ce n'est plus de mon ressort.
L'abbé Aubin de la Forest :
- Pour ma part, même si la Terreur est passée, les temps restent troublés. Il y a quelques jours ils ont arrêté l'abbé Jean-Baptiste Massieu, votre Evêque constitutionnel ? C'est un comble, lui, si fervent Républicain ! Je crois que je vais finir par m'exiler en Angleterre, rejoindre mes amis royalistes, regroupés autour du compte d'Artois. Et vous, qu'allez-vous faire à présent ?
L'abbé Bailly :
- Je vais quitter Vauréal, j'ai trouvé une place d'instituteur à Mantes. Le comité de surveillance a bien voulu me donner un Certificat de civisme, il va me sauver la vie. Mais vous savez, il est possible que je rejoigne moi aussi l'Angleterre, car vous l'avez dit, les temps restent troublés.
L'abbé Aubin de la Forest :
- Adieu mon cher ami.
L'abbé Bailly :
- Adieu mon cher ami.
A Vauréal, au Jardin de Michaux
Textes rédigés à partir de l’article d’Irène Malzy
Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, septembre-octobre 1956
Cérémonies rendues, à Vauréal, à la mémoire du botaniste-explorateur. Vauréal, charmante cité dont on peut bien dire qu’elle fut le jardin de Michaux puisque indépendamment de la propriété qu’il y acheta et dont les 2 ha. Portent encore son empreinte, il veilla, étant maire, à ce que sa ville méritât ce nom, acquérant même de ses propres deniers – l’allocution de M. le Maire de Vauréal nous le rappellera tout à l'heure — le terrain situé devant la mairie et le faisant planter d'arbres pour l'offrir à la commune.
Une fois traversée la ville de Pontoise, on abandonne l'Oise que Vauréal nous restituera bientôt, plus limpide, plus intime, à la mesure de la petite commune qui se cache derrière son chef-lieu.
A la mairie
Michaux y siégea durant de nombreuses années
Le maire, M Parquet, entouré du Préfet et du Sous-Préfet de Seine-et-Oise, du Maire de Pontoise et des membres du Conseil Général.
Au monument aux morts se sont joints, sous l'œil intéressé de la population, les Anciens Combattants. On jour les hymnes français et américain. Une minute de silence est observée. Le président des Anciens combattants remercie les congressistes notamment américains, rappelant les liens qui unissent les deux pays. M. Peiny, ancien curé de Vauréal, traduit en anglais les remerciements qui viennent d'être adressés en français aux congressistes.
A la rue du Port - Plaque de la rue Michaux
Irène Malzy
Elle est charmante la rue du Port, qui va bientôt s’appeler rue François-André-Michaux et semble tout abasourdie de cette consécration que lui vaut la gloire de contourner la propriété de Michaux. Elle avait un bien joli nom, et si l'on n'était conscient de ce qu'elle gagne en le perdant, on oserait formuler des regrets.
M. Jean François Leroy, sous-directeur du Laboratoire d'Agronomie coloniale du Muséum National d'Histoire Naturelle, organisateur du Colloque :
Je tiens à remercier tous ceux qui, des Etats-Unis et du Canada, bien sûr, mais aussi de Grande-Bretagne, de Suisse, de Belgique, de Suède étaient venus se joindre à leurs collègues français afin que soit désormais bien mises en lumière l'œuvre des explorateurs dont François-André Michaux, après son père André, fut un des pionniers, et les répercussions pratiques de leurs travaux dans les domaines horticole et forestier.
Le maire M Parquet : Mesdames, Messieurs, je veux vous dire ma fierté d'être associé à une célébration comme jamais la petite ville n'en vit de semblable. Monsieurs Michaux était un savant, mais aujourd’hui nous ne faisons pas honneur qu’au savant, mais aussi à mon illustre prédécesseur.
M Parquet dévoile la plaque de la rue François-André-Michaux.
Plaque en marbre sur le mur de la maison de Michaux
Irène Malzy ? :
Il nous faut signaler la maison où vécut François-André, la terre qu'il choisit pour son ultime demeure et où il repose sous une simple dalle, parmi les fleurs, à l'ombre des grands arbres. Ces arbres auxquels, durant sa vie entière, il voua les sentiments profonds qu'aucun humain peut-être n'avait su lui inspirer. Nul désormais, passant devant la ravissante demeure, souriant sous son bonnet de tuiles de voir l'Oise à ses pieds depuis deux siècles, n'ignorera qu'elle abrita un temps celui qui lui confère ses lettres de noblesse. Grâce à la Société des Amis du Muséum le marbre, même lorsque la patine aura un peu terni son or, rappellera cet épisode de l'histoire de la Botanique.
Devant la grille de la propriété
Le Pr William J. Robbins, Directeur du Jardin Botanique de New- York :
Je vais essayer de m’exprimer en français, comptant sur votre indulgence si je commets des erreurs. Je veux vous dire mon grand plaisir de me trouver au pays de Michaux, parmi ses compatriotes, pour célébrer son souvenir. En tant que Président de l'Américan Philosophical Society, je tiens surtout à vous préciser que nous aimions beaucoup M Michaux, membre actif de l'association, car il lui légua la somme de 12.000 dollars dans le but de favoriser les progrès de l'agriculture, et surtout de la sylviculture !
Le Pr Roger Heim, Directeur du Muséum National d'Histoire Naturelle :
Quelques mots sur la vie de Michaux. Dès 15 ans, François-André accompagnait son père qu'une ordonnance du Roi Louis XVI envoyait en Amérique du Nord afin d'y recueillir des plantes susceptibles d'être acclimatées en France. Plus tard, il devait y retourner seul, chargé de poursuivre l’oeuvre de son père, qui avait disparu. De deux autres expéditions, il rentre enrichi de contacts pris avec les botanistes américains, de ses herbiers et échantillons recueillis au cours de son immense randonnée du Nord au Sud des Etats-Unis. Grâce à toute cette récolte, il a pu publier son Histoire des Arbres Forestiers de l'Amérique Septentrionale dont Redouté et Bessa, les plus grands dessinateurs de l’époque, on signé les illustrations.
Mais l'ère de la grande aventure était terminée ; le règne de Vauréal allait commencer, pour durer 33 ans puisque, jusqu'à sa mort, Michaux resta fidèle à la propriété des bords de l'Oise.
Il m’est impossible de parler des Michaux sans évoquer l'Arbre; cet Arbre auquel ils ont donné jusqu’ à leur vie et qui se voit aujourd'hui sacrifié pour le profit — souvent illusoire — d'inconscients criminels !
Michaux et son père nous ont légué un immense héritage en matière botanique, à nous de le conserver et de l’honorer.
Je conclurai par un souhait, celui «que le souvenir de tout ce qui nous a unis, que l'amitié franco-américaine, les leçons de nos communes souffrances, trouvent dans l'exemple de François-André Michaux une raison de plus pour s'affirmer, pour fructifier et pour grandir.
Dans le jardin de Michaux
Irène Malzy :
La Municipalité avait tenu à ce qu'un toast fut porté au souvenir autant qu'à l'espérance. Alors que les verres s'emplissaient de ce vin dont la Champagne fit un ambassadeur, les derniers orateurs prenaient la parole : le Président de la Société d'Agriculture qui avait eu la lourde charge d'organiser ces manifestations, et le Préfet de Seine-et-Oise.
Mais il fallait rendre à François-André Michaux le calme un moment interrompu, se séparer de ceux dont les récentes heures vous avaient rendus si proches. Il fallait quitter Vauréal; emporter son souvenir comme un précieux moment.